Sueurs froides by Boileau-Narcejac

Auteur:Boileau-Narcejac [Boileau-Narcejac]
La langue: fra
Format: epub
Tags: thriller
Éditeur: Denoël
Publié: 2016-04-23T18:45:22+00:00

Deuxième Partie

I

— Respirez !… Toussez !… Respirez !… Bon ! Je voudrais revoir ce cœur… Retenez votre respiration… Hum !… Ce n’est pas merveilleux… Rhabillez-vous.

Le docteur regardait Flavières qui enfilait sa chemise et se détournait gauchement pour reboutonner son pantalon.

— Marié ?

— Non. Célibataire… Je rentre d'Afrique.

— Vous avez été prisonnier ?

— Non. Je suis parti en 40. On m’avait réformé à cause d’une mauvaise pleurésie, contractée en 38.

— Vous comptez vivre à Paris ?

— Je ne sais pas. J’ai ouvert un contentieux à Dakar. Mais je songe à reprendre mon cabinet.

— Avocat ?

— Oui. Seulement mon appartement est occupé. Et pour trouver quelque chose !…

Le docteur se caressait une oreille, tout en observant Flavières qui n’arrivait pas à renouer correctement sa cravate et s’énervait.

— Vous buvez, n’est-ce pas ?

Flavières haussa les épaules.

— Ça se voit vraiment ?

— C’est votre affaire, dit le docteur.

— Oui, il m'arrive de boire, avoua Flavières. La vie n'est pas tellement agréable.

Le docteur eut un geste vague de la main. Il s’assit à son bureau, dévissa le capuchon de son stylo.

— Votre état général n’est pas fameux, observa-t-il. Vous avez besoin de repos. À votre place, j’irais vivre dans le Midi… Nice… Cannes… Quant à vos obsessions… il faudrait voir un spécialiste. Je vais vous faire un mot pour mon confrère, le docteur Ballard.

— À votre avis, murmura Flavières, est-ce que c’est très sérieux ?

— Voyez Ballard.

La plume grinça sur le papier. Flavières sortit des billets de son portefeuille.

— Vous irez au Ravitaillement, dit le docteur tout en écrivant. Avec ce certificat, vous aurez un supplément de viande et de matières grasses. Mais vous avez surtout besoin de chaleur, de repos. Évitez les soucis. Pas de correspondance. Pas de lecture. C’est trois cents francs. Merci.

Déjà, il précédait Flavières vers la porte, tandis qu'un nouveau malade entrait dans la pièce. Flavières descendit l’escalier, mécontent. Un spécialiste ! Un psychiatre qui lui ferait déballer tous ses secrets, qui lui ferait avouer tout ce qu’il savait sur la mort de Madeleine. Impossible ! Il préférait vivre avec ses cauchemars, s’égarer, chaque nuit, en rêve, dans les galeries inextricables d'un monde peuplé de vermine, appeler quelqu’un dans le noir… C’était la chaleur, là-bas, l’excessive lumière qui l’avaient travaillé. Maintenant, il était sauvé.

Il releva le col de son pardessus, se dirigea vers la place des Ternes. Il ne reconnaissait plus ce Paris encore plongé dans les brumes de l’hiver, ces vastes espaces vides, ces avenues où ne passaient guère que des jeeps. Il éprouvait quelque gêne à se sentir trop bien vêtu, et marchait vite, comme tout le monde. Flâner était encore un luxe. L’Arc de triomphe ouvrait dans la grisaille un porche indécis. Tout était couleur du passé, couleur de mémoire ; quelle Toussaint morose était-il venu célébrer ? N’aurait-il pas mieux fait de rester là-bas ? Qu’est-ce qu’il attendait de ce pèlerinage ? Il avait connu d’autres femmes ; les plaies s’étaient fermées. Madeleine n’était même plus un fantôme…

Il entra au Dupont, s’assit près de la vitre. Quelques officiers, perdus dans l’immense rotonde.

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